L COMME LUI

Mon premier livre, Dos au mur, allait sortir. C’était ce que j’avais accompli de plus important dans ma vie. Pas parce que « sortir un livre » est important. Mais parce que je venais de donner une nouvelle voie à ma vie. Je venais recoller des morceaux éparts de moi-même, et d’enterrer le « h » de guerre. J’avais tué l’autre.

Jeancristophe était né.

J’ai eu besoin d’accompagner ce livre par une chanson, comme pour donner un éclairage autre aux mots. J’avais dix jours devant moi, avant de partir en tournée pour un autre projet.

Je n’avais jamais chanté, « pour de vrai » en tout cas, j’avais juste crié quelques affres dans « Comment devient-on un gens ? » et « Je tu », que je ne comptais pas rendre public.

J’ai eu besoin d’enregistrer « vœux funèbres », des funérailles fantasmées, douloureuses mais nécessaires.

Et puis tout s’est emballé. J’écrivais, je composais, j’arrangeais, j’enregistrais, je mixais, je passais d’un instrument à l’autre, d’un texte et d’une musique à l’autre, une histoire prenait forme, je la découvrais en même temps qu’elle me révélait à moi-même. Et en dix jours, j’avais terminé.

L’enregistrement de ce disque est probablement l’expérience artistique la plus fulgurante et la plus bouleversante que j’ai connue. J’ai cru être fou. Je ne distinguais plus clairement ce qui distinguait le monde réel du paradigme qui se révélait à moi. Et comme j’étais seul, sans même l’idée de partager le résultat avec quiconque, je n’avais pas à faire de compromis, de concession, à discutailler.

Bien-sûr, et de part même sa maïeutique, cet album est plein de défauts, et je n’ai pas de plaisir particulier à le réécouter. Tout comme je n’ai pas de plaisir particulier, et même parfois une répulsion, à voir ma tête dans la glace. Mais il n’était pas question de me plaire. C’est probablement pour ça qu’il me tient plus chèrement à cœur que tout autre.